Il va partir, nous le savons tous les deux. La question, c’est quand ? Je ne sais plus si je dois redouter ou espérer ce moment. J’ai perdu mon mari depuis longtemps maintenant. L’homme qui se tient devant moi n’est plus celui qui me serrait dans ses bras pour me rassurer. Il n’est plus celui qui m’embrassait fougueusement au détour des ruelles. Il n’est même plus celui qui rentrait trop tard du travail le soir.
Je ne suis plus le même. J’aurais tellement voulu être l’homme qu’elle méritait. Je l’ai trahie. J’ai trahi nos projets, j’ai trahi nos espérances, j’ai trahi notre avenir. Voilà que je pleure maintenant.
C’est la première fois que je le vois pleurer. C’est de ma faute, je suis devenue si froide avec lui. Si tout cela est dur pour moi, c’est sans doute pire pour lui. J’ai soudain envie de le prendre dans mes bras, comme autrefois, et je me rends compte que ça fait si longtemps que ce n’est pas arrivé. J’ai oublié d’être sa femme.
Ce n’est pas juste pour elle. Elle était jeune, belle, elle voulait fonder une famille, elle était ambitieuse. Là voilà devenue infirmière pour un malade irritable.
Je n’ai pourtant pas endossé ce rôle par devoir, c’est par amour que je l’ai fait. Mais la maladie ne laisse pas de place à l’amour. Et je suis si…
… fatiguée, elle n’a personne pour l’aider. Je vois bien qu’elle est au bout du rouleau.
Je n’en peux plus, mais je ne veux pas l’abandonner. Il a besoin de moi.
Je vais l’abandonner, mais j’ai tant besoin de la voir encore sourire avant de partir.
Je serai là jusqu’au bout, et puis je resterai seule…
… dans cette maison, notre maison. Au lieu de s’emplir de cris d’enfants comme nous l’avions prévu…
… c’est son dernier souffle que j’y entendrai à jamais.